Top 10 des films de 2023

10. Ashkal, l’enquête de Tunis

9. Fermer les yeux

8. Showing Up

7. L’été dernier

6. Le gang du bois du temple

5. Mad God

4. Killers of the flower moon

3. L’Enlèvement

2. Anatomie d’une chute

1. Le garçon et le héron

Et aussi : Conann ; La Montagne ; Chien de la casse ; Les filles d’Olfa ; L’Île rouge ; L’Innocence ; L’arbre aux papillons d’or ; Le règne animal ; Toute la beauté et le sang versé ; Asteroïd City 

Conann (Bertrand Mandico, 2023)

Dans un Enfer aux allures de salon de beauté, Conann (Françoise Brion) confrontée à son double, se remémore son passé, elle qui était destinée à de devenir « la plus barbare des barbares ».

Élément central d’un projet multimédia appelé Déviante Comédie, le troisième long-métrage de Bertand Mandico ne fait pas dans la dentelle et frappe par une nouvelle orgie visuelle surréaliste et ultra-référencée.

Du Conan le barbare originel, Mandico ne garde que l’idée de départ revue au féminin : une jeune fille capturée par des barbares et se heurtant à la cruauté de son monde. Assez vite cependant on quitte les terres de la fantasy de pacotille pour aller vers l’insolite.

C’est que Mandico, à son habitude, semble prendre un malin plaisir à ingurgiter toute sorte de références pour sortir quelque chose de nouveau. Ainsi, au cours de ce film qui ferait presque office de suite de court-métrage tant on passe d’un univers à l’autre, on retrouve pêle-mêle les fantômes de Fellini, d’Ophuls, de Kaneto Shindo, la liste serait trop longue. Tandis que côté musique, Debussy et Fauré côtoient le hip-hop ou la musique concrète ou tribale japonisante de Pierre Desprat.

On retrouve également de Mandico son attachement pour l’argentique et son goût pour le noir et blanc parsemé de saute de couleur exprimant l’assouvissement des pulsions déjà expérimenté pour Les garçons sauvages.

Mais l’originalité de Conann tient surtout en l’incarnation de son anti-héroïne. Laquelle est jouée par 6 actrices différentes, chacune tuant la précédente et représentant un nouvel âge de la vie. Ainsi à l’innocence désillusionnée de Claire Dubrucq, succède la badassitude vengeresse de Christa Theret, puis la rage de vivre de Sandra Parfait, la folie destructrice d’Agata Buzek et la grâce aristocratique et décadente de Nathalie Richard tandis que Françoise Brion oscille entre petite vieille terrifiée et reine de fer statufiée. La vie de Conann est donc le meurtre perpétuel de sa jeunesse et de ses illusions.

Fil conducteur de cette galerie d’actrices, Elina Lowensohn, alias Rainer (référence à Fassbinder of course), démon cynocéphale ambigu électrise le film par sa causticité diabolique guidant Conann dans ses métamorphoses, s’évertuant à prendre en photo les cadavres que Conann laisse derrière elle (les appareils photos étant censés voler les âmes comme chacun sait).

Histoire de damnation faustienne, Conann malgré ses allures de train fantôme exubérant n’en demeure pas moins un film assez tragique où sa protagoniste est condamnée à s’enlaidir, à embrasser son devenir monstre et à nuire jusque dans la mort.

La scène la plus réussie du film est à ce titre son repas final où la barbare devenue mécène milliardaire convainc de jeunes artistes de la dévorer pour hériter de sa fortune, dans une relecture de la Cène façon Grande Bouffe. On est moins dans le « Eat the rich » des militants anticapitalistes que de la perpétuation de la barbarie par contamination de génération en génération.

Évidement à vouloir embrasser autant de sujets que la vieillesse assassine, le fascisme rampant, la compromission artistique et j’en passe, Conann n’est pas à l’abris du trop-plein. Toutes les parties du film ne se valent pas, la plus faible étant sans doute celle des 45 ans et sa surcharge d’allégories trop appuyées.

Toutefois, il est difficile de rester insensible face à ce film halluciné et transcendant qui parvient sans problème à pallier son budget réduit par une folie créatrice à toute épreuve.

Vincent (Tim Burton, 1982)

Est-il possible que le premier court-métrage d’un réalisateur soit son meilleur film ? En revoyant Vincent de Tim Burton on serait en droit de se poser la question. Blague à part, ce court film en stop-motion, de 6 minutes à peine, que le tout jeune apprenti cinéaste alors encore animateur chez Disney qui lui donna pour une fois carte blanche, semble renfermer tout ce qui faisait le charme insolent de sa filmographie à venir (du moins pour un temps).

Inspirée de l’enfance même du réalisateur, Vincent raconte sous la forme d’un poème, l’histoire d’un petit garçon en apparence normal, si ce n’est qu’il s’identifie à Vincent Price, star de la série B horrifique américaine des années 50-60, et imagine revivre ses aventures jusqu’à la folie.

Stylistiquement, tout Tim Burton est déjà là, depuis les arbres tordus aux chats échevelés, en passant par les décors expressionnistes ou les murs en damier.

Film à hauteur d’enfant (on ne voit jamais le visage des personnages adultes), Vincent semble vouloir revenir sur tout ce qui a marqué son réalisateur étant enfant à commencer par l’atmosphère morne de sa banlieue pavillonnaire de Burbank, Californie. Le court-métrage retranscrit bien l’ennuie qui peut transpirer d’un tel univers (blanc et dépouillé). Dès lors, et ce sera une constante chez Burton, l’univers gothique que fantasme Vincent est d’emblée plus accueillant.

Car effectivement, Vincent rend hommage à l’ensemble des films gothiques de l’écurie Roger Corman, qui ont biberonné son imaginaire à comment par les très libres adaptations de Poe par Corman (La chute de la maison Usher, La tombe de Ligeia, Le Corbeau, etc) et bien sûr à Vincent Price, son idole qui prête justement sa voix aux narrateurs du film.

On décèlera aussi pour l’aspect conte cruel du film, l’influence chez Burton de l’illustrateur Edward Gorey et ses enfants aux destins tragiques qui nourriront plus tard sa Triste Fin du petit enfant huître.

Car là encore à rebours des productions Disney, il n’y a aucun happy-end pour conclure le film qui se termine, sur la folie si ce n’est la mort de son jeune protagoniste. On imagine les mines déconfites chez la firme aux grandes oreilles lors du 1er visionnage.

Délicieusement sinistre à l’image d’un Peanuts qui aurait rencontré Eraserhead, Vincent reste aujourd’hui un petit bijou plein des démons de son créateur qui fait là une entrée par la grande porte.

Bravo Tim, on te préférait comme ça !

Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone, 1968)

Le souvenir de Charles Bronson, durant le duel final d’Il était une fois dans l’Ouest, révèle l’irruption saisissante d’une arche romaine en plein cœur de Monument Valley. Une image qui semble renfermer en elle tout le cinéma de Sergio Leone tant elle témoigne de sa volonté de régénération du western américain par son mariage avec la culture latine, donnant à ce film les allures d’un opéra grandiose ou d’une tragédie antique.

Tourné dans la foulée du succès du Bon, la Brute et le Truand par un Léone qui pensait alors avoir déjà tout exploré du western et déjà désireux d’adapter ce qui allait devenir Il était une fois en Amérique, aidé au scénario par deux futurs monuments du cinéma italien que sont Dario Argento et Bernardo Bertolucci, Il était une fois dans l’ouest ne réitère pas l’épuration quasi-surréaliste de son glorieux prédécesseur. Peut-être comme pour témoigner d’un souhait de passer à autre chose, Léone en fait un ballet mortuaire, chargée de mélancolie. Un chant du cygne pour le western classique, genre alors à l’époque en totale perte de vitesse.

Tout le film transpire effectivement la mort lente et inéluctable, depuis le gémissement incessant du moulin au cours de l’indémodable scène d’ouverture, aux soupirs répété d’un train, semblable à un râle d’agonie, en passant par la lumière qui semble carboniser les personnages. Tout est mis en scène pour donner l’impression d’une apocalypse imminente que les personnages ne peuvent qu’attendre à l’image des trois bandits du début attendant longuement un train qui sonnera leur heure dernière.

Le film prend place à un moment charnière de l’histoire américaine : celui de la fin de la conquête de l’Ouest que parachève la mise en place du chemin de fer transcontinental à la fin des années 1860. C’est dans ce contexte de victoire définitive du monde capitaliste sur l’Ouest sauvage que se déroule l’histoire d’une lutte entre 5 personnes pour un domaine que doit justement traverser le chemin de fer, chacune des figures incarnant une différente approche de ce changement d’ère :

Le bandit Cheyenne (Jason Robards), personnage rusé, débonnaire, souvent comique, presque enfantin, à rapprocher des figures léoniennes jouées Elie Wallach dans Le Bon la Brute et le Truand et plus tard Rod Steiger dans Il était une fois la Révolution. Il est cependant moins bouffonnesque que ces deux figures, et semble porter avec lui la conscience d’être le dernier desperado.

Son total opposé est Morton (Gabriele Ferzetti), magnat du chemin de fer, rêvant d’être le premier à atteindre en train la côte Pacifique. Il incarne le capitalisme en apparence respectable mais gagné par la corruption, l’image de sa maladie des os le rendant peu à peu paralytique. Figure du monde nouveau, il sait que l’argent est une meilleure arme que le revolver.

Entre les deux personnages plus haut : Franck, le grand méchant, campé par un Henry Fonda jusque-là incarnant à l’écran l’idéal démocratique américain (Des Raisins de la colère à Young Mr. Lincoln tous deux de John Ford). Dans Il était une fois dans l’Ouest, Leone en fait un tueur impitoyable, au service de Morton. Un personnage coincé entre deux mondes, comprenant que les temps changent et rêvant de se hisser dans l’échelle sociale.

Quant à L’Harmonica, joué par Charles Bronson, il est également une figure appartenant au passé. Si des trois figures du monde ancien c’est le seul à survivre, c’est qu’il semble déjà mort. Homme sans nom, stoïque et laconique, aux apparitions paraissant relever du surnaturel et dont le regard passe parfois même pour définir l’action, il parait ne vivre que pour sa vengeance. Accompagné par sa fameuse mélopée à l’harmonica, qui renvoie au menaçant Deguello de Rio Bravo, il fait figure de spectre vengeur ou de statue du commandeur, ce n’est d’ailleurs pas pour rien que son thème musical s’inspire du Don Giovanni de Mozart.

Enfin, le personnage de Jill, interprété par Claudia Cardinale, un des rares personnages féminins d’envergure de la filmographie de Léone, qui peut également être assimilé au monde nouveau. Bien qu’elle soit souvent considérée comme un personnage passif, Jill incarne en réalité la transition entre l’ancien monde et celui à venir. À la fois maman et putain, elle apparaît vite comme un personnage ambigu qui suscite l’intérêt et les questionnements (d’où sans doute le choix de la mettre souvent devant un miroir). Figure typique de la femme de la ville découvrant la dureté du Far-West, elle finit par être la principale bénéficiaire des changements apportés par le film comme par l’époque. Associée à l’eau (depuis ses souhaits récurrents de bains à la scène finale où elle donne à boire aux ouvriers), elle apporte la vie dans un monde de mort, incarnant ainsi la naissance de la civilisation dans l’Ouest.

D’une certaine manière Il était une fois dans l’Ouest peut être lu à travers une lentille marxiste. L’Harmonica, Frank et Cheyenne semblant appartenir à une sorte d’aristocratie officieuse, porteuse malgré tout d’un certain code d’honneur (la vendetta, le duel ritualisé, la protection de la veuve et de l’orphelin…) mais qui comme le prince Fabrizio du Guépard sorti 5 ans plus tôt, se savent dépassés par le monde nouveau. Et à cet idéal aristocratique se superpose un capitalisme certes porteur de progrès mais également barbare et meurtrier. Le raccord entre le pistolet de Franck abattant un enfant et le train arrivant face caméra ne dit pas autre chose. L’enfant est tué non par Franck mais par le chemin de fer.

Plus globalement, Il était une fois dans l’Ouest peut également être perçut comme une réflexion sur le temps qui passe. Après tout, le train présenté ainsi comme un élément destructeur, une des premières incarnations du cinéma est aussi bien une allégorie du mouvement que du temps, tandis que l’ombre d’un fusil fait office d’aiguille d’une horloge.

C’est aussi et enfin la mise en scène de la mort d’un certain cinéma. Plus respectueux vis-à-vis de ses augustes aïeux qu’on pourrait le penser, Léone semble convoquer dans ce film tout le western classique pour un dernier tour de piste. Ainsi on retrouve les fameux paysages de Monument Valley (La Chevauchée Fantastique, Le Convoi des Braves…), l’acteur fordien Woody Strode (Le Sergent Noir, L’Homme qui tua Liberty Valence…) qui joue l’un des trois bandits de la scène d’intro, cette même scène d’intro rappelant par ailleurs Le train sifflera trois fois, tandis que l’attaque de la ferme fait écho à l’attaque des Indiens de La prisonnière du désert.

À l’aube du Nouvel Hollywood, alors que déjà Aldrich, Cassavetes, Kubrick ou Bogdanovitch avaient entamé la métamorphose du paysage cinématographique américain, Léone, l’italien de passage par sa convocation des fantômes d’une époque révolue, et son apport d’un baroque typiquement méditerranéen n’aura donc pas eu son pareil pour tourner en beauté la page du cinéma classique.

The River (Emir Baigazin, 2018)

Troisième film d’Emir Baigazin et dernier volet d’un triptyque sur l’enfance confrontée au mal, The River, présenté à Cannes en 2018 n’est jamais sorti en salle en France. On ne peut que le regretter, tant le film paraît synthétiser et prolonger les obsessions du cinéaste Kazakh, déjà développées dans ses deux films précédents.

Après les deux lycéens en prise avec une bande de racketteurs dans Leçons d’Harmonie et les destins croisés de quatre adolescents d’un petit village dans L’Ange Blessé, The River nous fait suivre le parcours du jeune Aslan (le même nom que les protagonistes des 2 autres films) et de ses quatre frères subissant la dure loi de leur père dans une ferme perdue au milieu des steppes. Un fleuve, prétendument magique non loin de chez eux constitue leur seule échappatoire. Plus épuré que ses deux prédécesseurs, The River prend plus la voie de la fable que du drame social.

L’action peut se dérouler dans n’importe quel pays et parait se passer (du moins au début) à une époque indéterminée. Par le moyen de symboles et de personnages archétypes, le film dresse ainsi la confrontation entre la vie traditionnelle et la modernité et les conséquences de cette dernière sur la microsociété rurale jusqu’alors bien réglée.

La modernité, c’est Kanat, le petit cousin de la ville, suffisant et bardé de gadgets, qui débaroule de nulle part. À la fois arrogant et fascinant, cet étrange gamin aux allures d’extraterrestre semble semer sur son passage aussi bien les graines de la cupidité et de la discorde que celles d’une possible émancipation. Son arrivée s’accompagne du rétablissement de la TV qui dès lors, diffuse sans cesse alors des informations anxiogènes sur la Corée du Nord, Daesh, la crise, etc. Par l’arrivée du cousin, la maisonnée s’ouvre ainsi au monde mais en hérite également des conflits. Ni réactionnaire dans la peinture d’une occidentalisation forcément corruptrice ni bêtement progressiste dans la mise à mal de l’ordre patriarcal, le film se fait assez nuancé quant à cette rencontre entre rats de villes et rats des champs. Les enfants, attirés par la tablette de leur cousin, ne feraient-ils que troquer une aliénation contre une autre.

Autre élément clef du film : le fleuve bien sûr. Baigazin en fait un lieu féerique et mystérieux, porteur de délivrance comme de mort. Vrai moteur de l’intrigue il paraît décider du destin de chacun. Premier jalon vers leurs prises d’indépendance au début du film, ce fleuve semble avoir une étrange emprise sur les enfants. Dans la deuxième moitié du film, comme en réponse à un geste irrespectueux (les enfants sous l’impulsion de leur cousin y urinent dedans), il se fait corollaire de culpabilité et de perte d’innocence.

Passant en ellipse la plupart des nœuds scénaristiques de l’intrigue, nous amenant toujours à nous interroger sur ce que l’on voit à l’écran, The River se concentre sur le filmage de la vie quotidienne, de la répétition morne des tâches de la ferme, dans une ambiance rendue étouffante au possible. On retrouve dans le film, les codes esthétiques propres à Baigazin : des surcadrages, des plongés, des plans symétriques, des poutres, des murs voire des faisceaux lumineux scindant l’écran en 2, 3 ou plusieurs parties. Autant de moyens pour figurer l’oppression, l’enfermement ou l’incommunicabilité dans un univers lentement gagné par une impression de mort imminente, laquelle est renforcée par la surabondance d’éléments inquiétant depuis la nuée de corbeaux jusqu’aux rideaux fantomatiques en passant par cet inquiétant épouvantail.

Le jeu des acteurs se fait quant à lui plus neutre et monotone que dans Leçon d’Harmonie ou L’Ange Blessé. À la manière d’un film de Bresson, ce ton dénué de sentiment exacerbé permet à The River d’embrasser davantage son caractère universel tout en accentuant la tension dramatique du film. Un contraste ainsi se crée entre le calme apparent des personnages et la violence du propos.

Pour autant, malgré la dureté de thèmes qu’il explore et l’âpreté de son esthétique The River se garde de sombrer dans un nihilisme béat. Si la fin du film, ouverte, laisse au spectateur le soin de l’interprétation, elle s’achève néanmoins sur le retour de la musique, du mouvement et des jeux. Bref une note d’espoir, prometteuse d’ouverture et de liberté.

Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzche comparait le chemin vers la réalisation de soi à trois métamorphoses : l’esprit devait d’abord se faire chameau qui porte docilement les contraintes sociales et morales de la société, puis lion qui se révolte férocement contre ces valeurs et finalement enfant, créatif et spontané capable de trouver son propre chemin dans la vie. Aslan, dont le prénom veut dire « lion » en turc, au milieu de son désert, après avoir renversé l’ordre ancien est-il enfin redevenu enfant ?

Nuits Med 2023 : Le regard de Francescu Artily

L’ouverture du festival des Nuits Med de l’année 2023 qui eut lieu le 17 mars au cinéma Ellipse d’Ajaccio, fut accompagnée par la projection des courts-métrages du réalisateur ajaccien Francescu Artily. L’occasion pour nous de nous entretenir avec cet artiste, à l’œuvre aussi hétéroclite qu’engagée.

C’est dès l’enfance que Francescu Artily s’est pris de passion pour le cinéma, notamment par la vision de nombreux films, notamment des films de genre. À l’adolescence, son intérêt s’élargit aux films d’auteur lorsqu’il participe à la programmation d’un cinéclub. Il résulte de cette vaste cinéphilie des influences multiples qui viendront irriguer ses futurs films « Antonioni pour sa narration introspective qui capte magistralement la solitude, comme dans un tableau de Hopper, son art de l’ellipse et du décentrement de l’intensité dramatique. Son cousin nordique, Bergman pour son exploration de l’intimité et de la tentation du mal entre psychanalyse et cinéma. Tarkovski pour son mysticisme qui creuse les voies symboliques à la recherche du lien originel et du souffle sacré. Kelly Reichardt pour son talent de réévaluation du monde qui éclate la temporalité de ses récits et puis l’incontournable documentariste Fréderic Wiseman et sa méthode de cinéma direct qui canalise la liberté infinie que nous offre le réel. Et je m’arrête là. »

Après l’obtention de son baccalauréat, il décide de poursuivre des études plus approfondies en cinéma, en commençant par le Mexique, puis en continuant à l’ESCAC de Barcelone où il réalise son premier court-métrage de fiction : Entre-nous, portant sur la relation ambiguë et teintée de violence qu’un père tient avec son jeune fils. « À ce moment-là, j’étais absolument certain d’être relié émotionnellement et professionnellement au cinéma. Et ça n’a pas changé depuis. C’est avec une caméra que je cherche à comprendre le monde. Une manière de vivre en quelque sorte. »

En 2008, installé à Madrid alors que la crise de 2008 fait rage, Francescu tente de vivre de sa plume de scénariste. Face à la dureté du marché il finit par accepter un travail de cadreur dans une société de production spécialisée dans la réalisation de magazines tendance art de vivre et voyages « Ce fut une sorte de piège, un peu doré quand même puisque ce travail m’a permis de voyager. Mais à la longue, les belles images bien léchées sans réel contenu, sans connexion avec les problématiques du monde se sont avérées déprimantes. J’ai quitté ma zone de confort pour revenir vers mes fondamentaux, la création et le cinéma d’auteur. »

C’est ainsi qu’en 2020, il réalise son second court de fiction : Pour que rien ne change, primé justement par le jury presse aux Nuits Med de 2021. Dans ce thriller suffocant, une jeune femme retourne voir sa famille pour leur présenter son petit ami, mais se heurte bien vite à la rancœur et la violence enfouie chez les siens. Une nouvelle variation sur l’oppression patriarcale qui nous fait nous demander si le sujet n’est pas invité à devenir un thème récurrent dans sa filmographie naissante. « Je suis né dans le corpus de la Méditerranée où la famille occupe une place centrale dans la définition et la construction d’un individu. Mon imaginaire est influencé par des histoires qui me reviennent naturellement à partir de mon identité. Elles évoquent le paradoxe de la famille à la fois protectrice et autoritaire. Les hommes, les pères, les frères, les maris, les fils sont les détenteurs de l’autorité dans toutes les sociétés traditionnelles. C’est ce poids de la famille qui pèse sur les individus que je questionne. C’est un sujet dérangeant qui titille. »

Son dernier film, Hors Saison, suit un cameraman filmant des paysages typiques mais vides de sens, pour le compte, d’une société de production et qui, angoissé par la perte de la passion pour son art, se jette dans une quête existentielle sur les chemins de la Corse sauvage. Un film qui semble faire écho avec son propre vécu. « Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre le mécanisme de la perte de sens qui conduit à la crise existentielle. C’est le thème de mon court-métrage Hors Saison. Dans le film, il existe une porosité entre l’espace professionnel et personnel. […] Le caméraman interprété par Bastien Bouillon est en danger, il risque de s’égarer en perdant la pulsion du vivant. »

Outre ces 3 courts-métrages, Francescu Artily a également tourné de nombreux documentaires entre la Corse et les Etats-Unis : du déclin des commerces de proximité avec Entrez, on ferme, au combat des Autochtones du bayou dans Island Road, en passant par les street-artists de Baltimore dans Sandtow-Winchester ou par la lutte de l’association Savannah contre les violences faites aux femmes dans Savannah. Des sujets divers et variés mais toujours, semble-t-il, axé sur les figures marginales, dominées ou du moins déclassées « Mes films retiennent ce que je suis et ce qui m’anime. J’ai grandi entre deux continents mais je suis aussi un insulaire. La diversité du monde traverse mon travail de documentariste. Les personnages de mes documentaires sont souvent les oubliés d’une économie globalisée et spéculative mais ils tiennent la tête au ras de la ligne de flottaison, sans renoncer à vivre. Il est important pour moi de mettre le spectateur face aux responsabilités sociales, c’est un engagement. »

Dans la même optique engagée, son prochain documentaire, Les Requérants, sur le point de sortir, portera sur une association de travailleurs sociaux. « Je suis parti de l’idée que le monde associatif a un rôle majeur à jouer pour promouvoir une culture de la solidarité à contre-courant de la culture dominante de la société fondée sur l’individualisme, la compétition et la réussite sociale. Mon long-métrage documentaire Les requérants a été tourné en immersion dans les locaux d’une association qui a pour mission d’aider des personnes ou des familles en situation de fragilité sociale ou de précarité. Ce travail a nécessité du temps, un peu plus de deux années pour appréhender la relation qu’ils entretiennent avec les travailleurs sociaux et réciproquement. »

C’est donc deux films simultanés, documentaire et fiction, que Francescu Artily sort cette année, ce qui nous laisse donc songeurs quant aux sujets qu’il compte explorer dans ses futurs projets. « En principe, je travaille conjointement une écriture fictionnelle et documentaire. Cette pratique alternée entre l’imaginaire et le réel me convient bien. Je suis dans la phase d’écriture d’un premier long-métrage de fiction. L’histoire nous laisse entrer dans l’intimité d’un couple et à partir de leur quotidien on avance vers des sujets plus universels. Et je termine l’écriture d’un nouveau long-métrage documentaire qui interroge le sens de la filiation. Mais il est encore un peu tôt pour parler de ces projets dans le détail. »

Dirty, Difficult, Dangerous (Wissam Charaf, 2023)

Mehdia (Clara Couturet), travailleuse immigrée éthiopienne et Ahmed (Ziad Jallad), réfugié syrien s’aiment. Tous deux essaient de vivre leur idylle dans un Beyrouth qui leur est en grande partie hostile.

L’instant de grâce et de d’harmonie sur lequel s’ouvre le film, à savoir des chants religieux éthiopiens dans une église avec un travelling circulaire, laisse pourtant rapidement place à la dure réalité des conditions de vie des 2 protagonistes.

Ainsi Medhia exploitée, infantilisée, soumise à du chantage et traitée comme une marchandise, est obligée d’être aide à domicile pour un vieillard sénile qui semble incarner toute la décadence d’une certaine bourgeoisie locale. Bourgeoisie même présentée comme littéralement vampirique, le vieil homme, ancien colonel, se prenant parfois pour un vampire (sous l’influence du Nosferatu de Murnau) et tentant alors de violer la jeune femme.

De son côté, Ahmed, SDF, arpentant les rues pour récupérer des métaux pour le revendre à la recyclerie, est soumis à la xénophobie ambiante (on apprend qu’il existe un couvre-feu pour les réfugiés syriens) et qui plus est à un étrange phénomène surnaturel : son bras devient peu à peu métallique. Cette mutation grotesque qui fait penser au Tetsuo de Shin’ya Tsukamoto, n’est jamais expliqué foncièrement mais semble évoquer l’accumulation du poids la violence et de la frustration engrangé par la guerre en Syrie. C’est justement ce bras de fer, qui permettra in fine le dénouement de l’histoire dans un scène hérité tout droit de L’Argent de Robert Bresson par son épuration et son minimalisme.

Si le film développe une esthétique rigide et verticale qui enferme, quadrille et sépare les protagonistes, il n’en demeure pas moins empreint d’humour. Un humour pince-sans-rire et ironique opposant la cruelle réalité sociale comme l’esclavage moderne ou le trafic d’organe meurtrier, et les images d’idéal de vie clinquant à l’occidental : affiches publicitaires, émissions TV et promesses de vacances luxueuses. L’exemple le plus probant est cette mort qui s’invite dans un spectacle pour enfants réfugiés, dégoulinant de morale volontariste hypocrite.

Film mordant et peu aimable, Dirty, Difficult, Dangerous nous fait la peinture d’une société à l’image de son titre (Mehdia par d’ailleurs d’un pays de fou) dans laquelle il ne semble pas y avoir d’autre solution que l’exil. Un constat sommes toute amer et pessimiste mais qui place néanmoins sont espoir dans l’énergie de ses personnages et surtout l’Amour qu’ils se vouent.

La dernière reine (Adila Bendimerad et Damien Ounouri, 2022)

En décembre 2021, la dissolution du FDATIC (équivalent algérien du CNC français) jetait une ombre inquiétante sur l’avenir du cinéma algérien. La sortie récente, d’un des derniers films à avoir bénéficié des fonds de la défunte commission, donne une idée des capacités et de la vitalité du cinéma algérien, pourvu que celui-ci soit soutenu.

Co-réalisé par la comédienne Adila Bendimerad (qui joue le rôle principal et dont s’est le premier film derrière la caméra) et le réalisateur Damien Ounouri, La Dernière Reine, retrace la légende de Zaphira, reine d’Alger (à l’historicité très incertaine), censée avoir préféré le suicide plutôt que le mariage avec le corsaire Aroudj « Barberousse » qui venait alors de prendre le pouvoir dans la ville en 1516.

Divisé en actes, le film se dessine comme une véritable tragédie qui sous une influence Game of Thrones assez assumée, s’appesanti sur les intrigues de cours, plus que sur les batailles assez vite évacuées. Adila Bendimerad, campe avec justesse le rôle d’une femme forteresse, prisonnière d’une cage dorée, faisant face envers et contre-tout, aux patriarcats de toute sorte tant d’Aroudj (Dali Benssalah) que de son mari ou de ses frères. On ne pourra s’empêcher par les thèmes que le film aborde (condition féminine, tyrannie, lutte pour l’indépendance…) de faire des rapprochements avec l’Histoire récente notamment de l’Algérie. 

Si le film semble clichetonneux au début (ici le monde féminin raffiné de Zaphira, là la virilité barbare d’Aroudj), il finit par brouiller peu à peu les pistes et supprimer tout manichéisme. Ainsi Aroudj finit par apparaître moins comme un pirate cruel que comme quelqu’un las de son errance sur les mers et souhaitant se poser tandis que le personnage d’Astrid la Scandinave (Nadia Tereszkiewicz), en plus de rappeler le caractère hétéroclite de la piraterie musulmane au XVIe siècle, dépasse le simple rôle de femme fatale pour finir figure touchante de femme survivante.

Si l’on peut regretter l’aspect kitch des scènes de combats, façon la série Vikings, ou bien des musiques souvent un peu trop pompeuses, La Dernière Reine demeure un film généreux, alliant savamment le sens du spectacle avec l’interrogation de l’Histoire, chose qu’on aimerait voir plus souvent dans le cinéma mainstream actuel.

Top 10 des films de 2022

10/Eo

Parce que Jerzy Skolimowski, sur les traces de Bresson, nous livre un portrait sans concession de l’Humanité à travers le regard impassible et impénétrable du monde animal.

9/Magdala

Pour les raisons que j’avais évoqué dans cet article.

8/Fire of love

Car Werner Herzog transcende les prises de vue des regrettés époux Kraft, en une symphonie visuelle d’une poésie terrifiante sur le déchainement des éléments et la dévorante passion humaine. Un nouveau drame que ce film n’ai pas été montré en salle.

7/Contes du hasard et autres fantaisies

Car en digne héritier de Rohmer, Ryūsuke Hamaguchi signe une œuvre d’une poésie impressionniste de toute beauté, dans un film à sketch où le hasard fait et défait les destins et les amours.

6/ Apollo 10 1/5

Pour le portrait autant sarcastique que mélancolique que Richard Linklater dresse de l’Amérique fantasmée de son enfance. Encore une fois : crève-cœur que ce film ne soit pas sur grand écran.

5/Pacifiction : Tourment sur les îles

Pour l’errance désespérée à rebours de tout code narratif, que Serra met en scène dans un Tahiti pré-apocalyptique avec un Benoit Magimel à son plus haut niveau.

4/Nope

Jordan Peele est-il le nouveau Spielberg ? Il pourrait bien s’il continue de réaliser des œuvres de la trempe de ce film horrifico-comique qui détournant les codes du genre tisse tout un réseau de symboles tant cinématographiques que mythologiques.  

3/Little Palestine

Car sans aucune expérience cinématographique, Abdallah Al-Khatib a réalisé ce documentaire poignant sur la fin du camp de Yarmouk en Syrie, dépeignant à la fois le courage de toute une communauté, tout en en immortalisant ses détails pour qu’elle survive à sa disparition.

2/Il Buco

Car dans un style quasi documentaire, le trop rare Michelangelo Frammartino fait s’entrecroiser nouveau et ancien monde en mettant en parallèle l’exploration de l’abîme de Bifurto et l’agonie d’un vieux vacher. Des images et un dépaysement à couper le souffle.

1/ Licorice Pizza

Pour la virevoltante ode à l’esprit d’enfance qu’Anderson, sans jugement aucun, met en place dans la cette romance chaotique au cœur d’une Amérique baroque des seventies, emplie de folies et d’angoisses. Une masterclass libertaire, chantante et drolatique.

Et aussi : Nous, Bowling Saturne, La légende du roi crabe, As Bestas, Plumes, Suis-moi je te fuis/Fuis moi je te suis, Inu-Oh, Godland, Viens je t’emmène, Nightmare Halley…

Seder-Masochism (Nina Paley, 2018)

A la sortie de Sita chante le blues, Nina Paley s’était fait taper sur les doigts par des voix l’accusant d’appropriation culturelle, lui demandant comment elle réagirait si on se moquait de sa propre culture. Il faut croire que la réalisatrice ait pris ces critiques au mot car 10 ans plus tard sortit dans un cadre encore plus libéral que Sita (directement sur le web en accès libre après une carrière en festival), Seder-Masochism, interrogeant la culture judaïque dont est issue sa famille.

On retrouve dans ce nouveau film plusieurs éléments déjà creusé dans Sita chante le blues : la relecture de mythe fondateurs, la mise en parallèle avec la vie personnelle de l’autrice, le détournement de chansons existantes (toujours sans payer les droits d’auteurs), l’interaction entre documentaire et animation ainsi que l’expérimentation visuelle notamment avec une impressionnante séquence d’animation de broderie.

Comme pour son précédent long-métrage Seder-Masochism suit également plusieurs intrigues entremêlées.  Le fil narratif s’articule autour d’un enregistrement éducatif datant des années 50, The Moishe Oysher expliquant les différents rituels du Seder de Pessah, la fête juive célébrant la sortie des hébreux hors d’Egypte, le tout raconté par un Jésus de La Cène de Juan de Juan animé façon Monthy Python. En parallèle nous suivons les différents épisodes de l’Exode en mode comédie musicale. Une troisième partie narre la création du Monde par ce qu’on pourrait appeler la Déesse-Mère avant qu’elle soit renversée par un Dieu masculin. Enfin une quatrième partie illustre une interview réelle par Nina Paley de son père Hiram, alors en phase terminale. Interview dans laquelle la réalisatrice présente son père sous les traits de Dieu et elle-même en chèvre sacrificielle (tant parce que l’holocauste était le moyen de communiquer avec Dieu, que Nina Paley se voyait comme le bouc émissaire de la famille).

Tout comme elle l’avait fait avec le Ramayana, Nina Paley passe donc le livre de l’Exode au crible de sa moulinette caustique, mettant dans la bouche de Moïse, d’Aaron ou du pharaon des chansons diverses venant d’artistes et de groupes tels que Led Zeppelin, Louis Amstrong ou même Dalida, un peu à la manière d’On connait la chanson d’Alain Resnais. Si on ne retrouve pas la prouesse de Sita chante le blues, où la réalisatrice avait réussi à raconter tout le Ramayana avec le répertoire d’une seule chanteuse, l’association entre les morceaux, souvent cultes, et les épisodes évoqués de la Bible se marient généralement bien (malgré un montage parfois maladroit comme avec la partie consacrée au plaies d’Egypte). On pourrait parfois jurer, et la confusion fut accentué par la diffusion des extraits sur Youtube, que les extraits sont les clips officiels des chansons choisies, le plus notable étant le Spider Suite de Duke of the uke illustrant la mort des premiers nés égyptiens.

L’utilisation de chansons déjà existantes, en plus de sa fonction comique et désacralisant renforce également l’ironie du récit, façon Good morning Vietnam. Le cas le plus probant étant l’utilisation de This land is Mine d’Andy William, chanson tirée du film Exodus d’Otto Preminger, devenue ensuite hymne sioniste. La faisant réciter par une série de soldats hébreux, grecs, romains, arabes, s’entretuant à travers les âges, pour la conclure dans la bouche d’une faucheuse triomphante, le film fait ressortir la vanité du propos. Autre exemple : Moïse chante The things we do for love de 10cc, tandis ce superpose les images du KKK, des bombardements israéliens ou encore du 11 septembre, comme conséquences directes de la mise en place du monothéisme.

Car Seder-Masochism, présente une vision de l’Exode bien éloignée du whitewashing d’un Prince d’Egypte, que Paley, athée convaincue, oppose à la pompe grandiloquente du narrateur christique. Moïse y est ainsi dépeint comme un vieillard intolérant et sexiste, les premiers-nés égyptiens comme des victimes collatérales d’un dieu cruel et tandis que le culte du veau d’or (généralement perçut comme un sacrilège d’inspiration diabolique) est montré comme un instant d’émancipation féminine (magnifié par rien moins que le Woman de John Lennon), le film enchaine avec le massacre des idolâtres, faisant le parallèle direct avec les crimes de Daesh.  

On retrouve là, l’influence de l’essai de l’historienne Gerda Lemer, The creation of patriarchy. Cet essai soutient que le monothéisme juif s’est construit en opposition au culte des déesses de la fertilité et que le passage d’une représentation féminine du divin à une représentation masculine serait directement lié à l’apparition de la propriété privé et de la société de classe. Cette idée se retrouve surtout dans les passages du film évoquant la Déese-mère. Montrée ainsi que ses avatar smultiples (vénus de Willendorf, Vénus de Laussel, Isis, etc), créant le Monde, surplombant les 3 religions du livre, sublimée par les chants exaltant des chœurs bulgares, représentant un temps primitif, la dites Déesse finit cependant par voir son titre divin usurpée par l’Homme. Aussi la fin du film montre t’elle des silhouettes de laboureur quadriller la Terre personnifiée par une Déesse à l’agonie.

On pourrait reprocher à Nina Paley un certain manque de subtilité dans son message (ce qui ne serait pas la première fois au vu de ses courts-métrages anti-reproduction) tant le film use et abuse de symboles depuis le mont Sinaï en forme de phallus au chant des Vierges Marie (que l’on devine être énièmes avatars diminués de la Déesse déchue) « God is a patriarcal male », seule chanson originale du film. On peut aussi se questionner sur la cohérence du film et sa pertinence de situer l’instauration du patriarcat au moment de l’Exode, vu que selon le film même, la vénération de figure féminine n’empêche pas l’Egypte du pharaon d’être patriarcale et esclavagiste.

Mais ces remarques fondent vite, face à la générosité et l’inventivité de ce film, vraie claque païenne lancée à l’Amérique bigote de l’ère Trump.

L’entretien entre Nina Paley et son père, athée mais qui tenait à enseigner le Seder à ses enfants pour la transmission de l’héritage culturel familial, sonne tout autant comme un hommage à ce père dont elle parait tenir l’esprit subversif qu’à une exploration de l’abandon de sa foi. Encore une fois, le décalage est à nouveau là, car Hiram Paley ayant les traits de Dieu, le film nous donne l’impression d’avoir un Dieu qui ne croit plus en lui-même et prêt à renoncer à sa domination. Après tout, la chanson du générique de fin le dit bien : « Give me that old-time religion ». Ici, c’est un retour à la Déesse-Mère que prône le film. Le veau d’or serait-il toujours debout ?