Magdala (Damien Manivel, 2022)

Si un film était susceptible de me donner la Foi, ce serait sans aucun doute un film comme Magdala (en tout cas plus que La passion du Christ ou tout autre péplum biblique hollywoodien à la grâce d’un bulldozer).

5e long-métrage de Damien Manivel, Magdala, comme il est précisé dans un carton d’introduction, est une « rêverie » sur les derniers jours de Marie-Madeleine, disciple et supposément amante de Jésus Christ et dont la légende dit qu’elle vécut ses dernières années en ermite dans le massif de la Sainte-Baume.

Le film nous montre donc Marie-Madeleine, vieillie, à des lieux de ses représentations habituelles dans la peinture conventionnelle, mener dans la forêt une vie misérable, se nourrissant de peu, se mouvant avec difficulté et pensant à son Amour. Pas de dialogue. Seules quelques phrases en araméen, tirées du Cantique des cantiques. Très peu de musique, ce qui renforce sa puissance quand elle apparait (en l’occurrence Der Leiermann, fleuron de la musique romantique, composé par un Schubert malade attendant lui aussi sa fin). On l’aura compris, le ton du film est résolument contemplatif. Ce choix de la lenteur donne au film toute sa dimension mystique. En s’attardant ainsi longuement sur les faits et gestes de la protagoniste, en nous donnant le temps de nous y appesantir, que ce soit sur un dessin du Christ tracé dans le sol, la confection d’une croix avec des feuilles ou encore de son agonie finale, le film fait ressortir le Sacré du moindre détail.

Magdala est aussi la troisième collaboration du réalisateur avec la danseuse américano-jamaïcaine, Elsa Wolliaston, figure imposante et énigmatique qui instillait déjà une puissance trouble dans son court La dame au chien et dans Les enfants d’Isadora (film dans lequel Manivel vit en son actrice un potentiel justement pour incarner une figure religieuse). Ici, on retrouve dans ses mouvements lents une certaine solennité effectivement mystique (sans être forcément religieuse) que l’actrice donnait déjà à voir dans ses chorégraphies.

Le minimalisme du film renforce son intemporalité. En soi, Magdala pourrait se passer tout aussi bien dans l’Antiquité qu’à notre époque, et l’on pourrait penser en voyant Marie-Madeleine qu’il s’agit juste d’une clocharde céleste contemporaine dans un état d’extrême pauvreté. Son abdication vis-à-vis du monde et de la société semble même conférer au film une dimension écolo pro-décroissance, limite zadiste.

La fragilité de Marie-Madeleine s’accorde également avec la fragilité même du film, tourné en pellicule 16mm (donc avec peu de prises possibles) et uniquement en lumière naturelle. S’encrant ainsi dans la matérialité, le film respire, tremble et vacille au rythme de son personnage, l’accompagnant dans ces derniers instants à l’image d’une scène d’errance dans un décor d’apocalypse ou encore la scène finale dans la grotte où la lueur d’une bougie, seule source lumineuse, incarne l’ultime souffle de la Sainte veillée par un ange sorti d’un tableau de la Renaissance.

Se situant quelque part entre le Malick des beaux jours et un Weerasethakul qui aurait troqué la jungle pour la forêt bretonne, pouvant aussi bien traiter de la naissance de la Foi chrétienne que simplement du passage d’une vieille dame de la vie à la mort, Magdala constitue une expérience sensorielle parvenant magistralement à mêler l’intime et le divin.

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