Conann (Bertrand Mandico, 2023)

Dans un Enfer aux allures de salon de beauté, Conann (Françoise Brion) confrontée à son double, se remémore son passé, elle qui était destinée à de devenir « la plus barbare des barbares ».

Élément central d’un projet multimédia appelé Déviante Comédie, le troisième long-métrage de Bertand Mandico ne fait pas dans la dentelle et frappe par une nouvelle orgie visuelle surréaliste et ultra-référencée.

Du Conan le barbare originel, Mandico ne garde que l’idée de départ revue au féminin : une jeune fille capturée par des barbares et se heurtant à la cruauté de son monde. Assez vite cependant on quitte les terres de la fantasy de pacotille pour aller vers l’insolite.

C’est que Mandico, à son habitude, semble prendre un malin plaisir à ingurgiter toute sorte de références pour sortir quelque chose de nouveau. Ainsi, au cours de ce film qui ferait presque office de suite de court-métrage tant on passe d’un univers à l’autre, on retrouve pêle-mêle les fantômes de Fellini, d’Ophuls, de Kaneto Shindo, la liste serait trop longue. Tandis que côté musique, Debussy et Fauré côtoient le hip-hop ou la musique concrète ou tribale japonisante de Pierre Desprat.

On retrouve également de Mandico son attachement pour l’argentique et son goût pour le noir et blanc parsemé de saute de couleur exprimant l’assouvissement des pulsions déjà expérimenté pour Les garçons sauvages.

Mais l’originalité de Conann tient surtout en l’incarnation de son anti-héroïne. Laquelle est jouée par 6 actrices différentes, chacune tuant la précédente et représentant un nouvel âge de la vie. Ainsi à l’innocence désillusionnée de Claire Dubrucq, succède la badassitude vengeresse de Christa Theret, puis la rage de vivre de Sandra Parfait, la folie destructrice d’Agata Buzek et la grâce aristocratique et décadente de Nathalie Richard tandis que Françoise Brion oscille entre petite vieille terrifiée et reine de fer statufiée. La vie de Conann est donc le meurtre perpétuel de sa jeunesse et de ses illusions.

Fil conducteur de cette galerie d’actrices, Elina Lowensohn, alias Rainer (référence à Fassbinder of course), démon cynocéphale ambigu électrise le film par sa causticité diabolique guidant Conann dans ses métamorphoses, s’évertuant à prendre en photo les cadavres que Conann laisse derrière elle (les appareils photos étant censés voler les âmes comme chacun sait).

Histoire de damnation faustienne, Conann malgré ses allures de train fantôme exubérant n’en demeure pas moins un film assez tragique où sa protagoniste est condamnée à s’enlaidir, à embrasser son devenir monstre et à nuire jusque dans la mort.

La scène la plus réussie du film est à ce titre son repas final où la barbare devenue mécène milliardaire convainc de jeunes artistes de la dévorer pour hériter de sa fortune, dans une relecture de la Cène façon Grande Bouffe. On est moins dans le « Eat the rich » des militants anticapitalistes que de la perpétuation de la barbarie par contamination de génération en génération.

Évidement à vouloir embrasser autant de sujets que la vieillesse assassine, le fascisme rampant, la compromission artistique et j’en passe, Conann n’est pas à l’abris du trop-plein. Toutes les parties du film ne se valent pas, la plus faible étant sans doute celle des 45 ans et sa surcharge d’allégories trop appuyées.

Toutefois, il est difficile de rester insensible face à ce film halluciné et transcendant qui parvient sans problème à pallier son budget réduit par une folie créatrice à toute épreuve.

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